Introduction Suite à l'adoption de la loi sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN), le gouvernement a adopté le 16 juin dernier une ordonnance définissant le régime du contrat électronique. L'art. 26 LCEN permettait au Gouvernement de prendre dans le délai d'un an une ordonnance en vue d'adapter les dispositions législatives en vue de permettre l'accomplissement de certaines formalités par voie électronique. Cette ordonnance a été prise in extremis, puisque présentée en Conseil des ministres par le Garde des Sceaux, le 15 juin 2005. L'ordonnance n° 2005-674 du 16 juin 2005 relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique doit encore faire l'objet d'une ratification par le Parlement grâce à un projet de loi qui doit être présenté dans les six mois à compter de la publication de l'ordonnance. On peut tenir pour acquise la ratification par le Parlement de cette ordonnance, malgré les malfaçons des articles introduits dans le Code civil, car elle transpose les art. 9 à 11 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. La non-transposition de cette directive avait fait l'objet d'un avis de la Commission. La LCEN avait introduit dans le Code civil, d'une part, les articles 1108-1 et 1108-2 et, d'autre part, un chapitre intitulé « Des contrats électroniques », contenant les art. 1369-1, 1369-2 et 1369-3. L'ordonnance a renuméroté ces articles en 1369-4, 1369-5 et 1369-6 et a introduit dans le Code civil les art. 1369-1 à 3 et 7 à 11, répartis en quatre sections. Plutôt que de modifier une série de textes, l'ordonnance insère dans le Code civil des dispositions générales. Pour une part, les règles relatives au contrat électronique procèdent à l'adaptation de règles existantes, pour une autre part, elles le soumettent à un régime spécifique. I. L'adaptation des normes existantes au contrat électronique Le Code civil réglemente les formes imposées au contrat électronique, d'une part, en adaptant les règles de forme au contrat électronique, et, d'autre part, en établissant une certaine équivalence entre le contrat-papier et le contrat électronique. A. L'adaptation des règles de forme au contrat électronique Le principe de l'adaptation des formes ad validitatem à l'acte électronique est posé par l'art. 1108-1 du Code civil : « Lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 et, lorsqu'un acte authentique est requis, au second alinéa de l'article 1317. Lorsqu'est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s'oblige, ce dernier peut l'apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu'elle ne peut être effectuée que par lui-même. ». Le principe de l'adaptation des formes pour la validité d'un écrit électronique est doublé de dispositions qui tendent à établir une interchangeabilité de l'écrit électronique et de l'écrit sur support papier. B. Vers une interchangeabilité de l'écrit électronique et de l'écrit sur support papier L'ordonnance ajoute des dispositions qui tendent à l'interchangeabilité de l'écrit sur support papier et de l'écrit sur support électronique. Ainsi, aux termes de l'art. 1369-10, « lorsque l'écrit sur papier est soumis à des conditions particulières de lisibilité ou de présentation, l'écrit sous forme électronique doit répondre à des exigences équivalentes ». « L'exigence d'un formulaire détachable est satisfaite par un procédé électronique qui permet d'accéder au formulaire et de le renvoyer par la même voie ». De même, l'art. 1369-11 dispose : « L'exigence d'un envoi en plusieurs exemplaires est réputée satisfaite sous forme électronique si l'écrit peut être imprimé par le destinataire ». Dans le même ordre d'idées, l'al. 1er de l'art. 1369-7 dispose qu'« une lettre simple relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique ». Il est prévu que la lettre avec accusé de réception puisse elle-aussi être remplacée par un écrit électronique sous réserve de respecter les conditions posées par l'art. 1369-8. Si l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, cela ne signifie pas que la lettre missive soit interchangeable avec le courrier électronique, ni qu'il soit dans les usages qu'un cocontractant puisse s'attendre à cette substitution, d'où la réserve de l'acceptation par le destinataire du remplacement possible de la lettre recommandée par un courrier électronique remplissant certaines conditions. Le caractère interchangeable de la lettre missive et du courrier électronique rencontre des limites, comme la question de savoir comment remplacer la datation d'un acte sous seing privé conformément à l'art. 1328 du Code civil. L'art. 1369-7 al. 2 prévoit l'usage d'un procédé électronique à définir par un décret en Conseil d'État. II. Les nouvelles règles définissant le régime du contrat électronique Les dispositions ajoutées par la LCEN, puis par l'ordonnance, soumettent le contrat électronique à l'accomplissement de formalités. La lecture de ces articles montre que le contrat conclu par voie électronique entre un professionnel et un non-professionnel fait l'objet d'une considération particulière. Ce faisant, ils entrent dans une casuistique qui devrait probablement figurer ailleurs que dans le Code civil. Nous essaierons de dégager un régime commun du contrat électronique, puis nous verrons les règles spécifiques aux contrats électroniques conclus par un professionnel. A. Le droit commun du contrat électronique La principale nouveauté des dispositions ajoutées par l'ordonnance est la distinction entre le contrat conclu par voie électronique et celui conclu par échange de courriers électroniques. Nous verrons les règles communes aux deux moyens de conclusion du contrat électronique avant d'examiner les règles spécifiques à ces deux moyens. Les contrats électroniques étant des contrats entre absents, se pose la question de savoir à quel moment un écrit peut-il être considéré comme reçu. L'art. 1369-9 apporte une solution, mais de manière obscure. En effet, cet article, située dans une section intitulée « de l'envoi ou de la remise d'un écrit par voie électronique », traite de la « remise d'un écrit sous forme électronique » et reçoit comme exception l'art. 1369-2, qui traite du courrier électronique. Si l'on s'en tient à la lettre de cet article, il concerne l'écrit sous forme électronique dans son ensemble. L'art. 1369-9 opte, pour la théorie de la réception, sans aller jusqu'à la théorie de l'information : un écrit électronique est considéré comme reçu lorsque le destinataire a eu la possibilité d'en prendre connaissance et qu'il en a accusé réception. Rétrospectivement, cette norme prête une raison d'être aux art. 1369-1 et 1369-2. Concernant la formation du contrat, l'art. 1365 al. 3 apporte une solution spécifique à certains éléments du contrat : « La commande, la confirmation de l'acceptation de l'offre et l'accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès ». Le contrat est conclu dès l'acceptation par le destinataire de l'offre, et non à partir de la confirmation du pollicitant, prévue par l'art. 1369-5 al. 2 et ce, même si aucune coordonnée bancaire n'a encore été transmise. Il aurait été utile de prévoir une règle générale concernant la rétractation de l'offre. Durant les débats relatifs à l'adoption de la LCEN, l'art. 1369-4 (ancien art. 1369-1) a, par amendement, été restreint aux professionnels. En conséquence, la disposition selon laquelle « sans préjudice des conditions de validité mentionnées dans l'offre, son auteur reste engagé par elle tant qu'elle est accessible par voie électronique de son fait », n'est pas applicable aux personnes n'agissant pas à titre professionnel, alors que ce sont justement celles qui auraient besoin de la protection qu'offre cette norme. En effet, si une personne acceptait une offre retirée par son auteur – non-professionnel – mais stockée en cache, le contrat serait formé. La LCEN a distingué dans les contrats électroniques ceux conclus par voie électronique et ceux conclus par courrier électronique. L'art. 1369-5 al. 1 et 2 soumet le contrat conclu par voie électronique aux formalités suivantes : « Pour que le contrat soit valablement conclu, le destinataire de l'offre doit avoir eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total, et de corriger d'éventuelles erreurs, avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation.» L'auteur de l'offre doit accuser réception sans délai injustifié et par voie électronique de la commande qui lui a été ainsi adressée ». Alternative au contrat conclu par voie électronique, le courrier électronique, défini à l'art. 1er LCEN in fine, permet au contrat électronique d'être un contrat de gré à gré. Le contrat conclu par ce moyen échappe donc au formalisme imposé au contrat conclu par voie électronique. L'usage du courrier électronique est régi par l'art. L 34-5 du Code des postes et des communications électroniques et par la loi dite « informatique, fichiers et libertés ». L'envoi de courriers électroniques se situent dans l'hypothèse où la personne concernée a préalablement accepté ce traitement de données à caractère personnel, l'hypothèse dans laquelle la personne concernée conclut un contrat ou est en train de le conclure, ainsi que l'hypothèse dans laquelle un contrat antérieur et relatif à un objet similaire a déjà été formé entre les parties. Les art. 1369-2, 1369-3 et 1369-8 affirment donc dans le cadre du contrat électronique la nécessité de l'acceptation expresse par leur destinataire de l'envoi de courriers électroniques relatifs à un contrat électronique, afin que le cocontractant ne soit pas surpris. Le souci de protection du cocontractant est prolongée par l'introduction dans le Code civil de la distinction entre professionnel et non-professionnel. B. Les contrats électroniques conclus par un professionnel La LCEN a introduit dans le Code civil la notion de professionnel, alors que cette notion relève plutôt du Code de commerce, du Code de la consommation ou d'une loi spéciale. En effet, dans le Code civil, on trouve le mot « professionnel» – comme antonyme de profane– mais plus avant dans le Code civil. Désormais, l'art. 1369-3 pose à la fois le régime applicable au contrat électronique, et son exception, et ce, dans le livre III, intitulé « des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Ce régime allège les règles de forme pour les professionnels lorsqu'ils contractent entre eux et impose des obligations d'informations lorsqu'un professionnel contracte avec un non-professionnel. Le régime du contrat électronique comprend tout d'abord la possibilité pour une personne agissant pour les besoins de sa profession de passer des actes sous seing privés relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale (art. 1108-2). La seconde règle de ce régime spécifique est la possibilité, instituée par l'art. 1369-6 al. 2, pour des professionnels contractant entre eux, de déroger aux obligations d'information posées par l'art. 1369-4 et aux règles de forme encadrant la formation du contrat posées par l'art. 1369-5. Si le Code civil soustrait les professionnels aux règles de forme lorsqu'ils contractent entre eux, il leur impose des formalités supplémentaires lorsqu'un professionnel contracte avec un non-professionnel par voie électronique. Le contrat conclu par voie électronique entre un professionnel et un non-professionnel est traité comme le cas normal du contrat électronique et constitue la voie royale des contrats d'adhésion. Le professionnel et le non-professionnel ne sont pas définis dans le Code civil. On associe naturellement le professionnel des art. 1369-1 et s. au professionnel du droit de la consommation. Au non-professionnel devrait correspondre le consommateur, mais cela n'est pas dit expressément. Le professionnel doit respecter certaines obligations d'information. Ces formalités sont énoncées à l'art. 1369-4, qui transpose fidèlement l'art. 10 de la directive sur le commerce électronique. Ainsi, le professionnel qui propose « la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction ». En outre, il mentionne les différentes étapes à suivre pour conclure un contrat par voie électronique, les moyens techniques de correction, les langues proposées pour la conclusion du contrat, et, en cas d'archivage du contrat, les modalités de cet archivage et les conditions d'accès. Enfin, la LCEN ajoute aux mentions obligatoires du contrat électronique passé par voie électronique entre un professionnel et un non professionnel la mention des « moyens de consulter les règles auxquelles l'auteur de l'offre entend se soumettre ». Cette innovation est destinée aux codes de déontologie, mais peut renvoyer aux labels définis dans le Code de la consommation, à des labels relatifs, par exemple à la sécurité de la navigation aérienne. Elle peut également concerner les labels existant dans d'autres États de la Communauté européenne et relatifs, par exemple à la protection des données à caractère personnel. Conclusion Malgré ses malfaçons, l'ordonnance du 16 juin 2005 achève la transposition de la directive sur le commerce électronique. On peut sans doute lui reprocher d'avoir préféré éviter de retoucher une multitude de textes éparts en modifiant le Code civil. Il est difficile également de lui reprocher la présence dans le Code civil de la notion de professionnel, puisque celle-ci est due au législateur. On peut enfin se féliciter de l'adaptation des règles de forme concernant le contrat électronique. Auteur : M. Pierre Matringe Doctorant . | Source : DROIT-TIC | |